Tempus est pecunia
Si on revient dans le temps et qu’on se remémore le temps passé devant nos jeux préférés, que ce soit les Arkanoïd ou Super Mario Bros, des centaines de fois nous avons retourné le sablier. Nous avons entendu nos parents hurler pour que l’on cesse de jouer et ensuite ce fut peut-être le tour de nos conjoints(e). Avec les années et les responsabilités qui viennent avec la vie d’adulte, le temps devient pour bon nombre d’entre nous un luxe. Les adeptes de l’univers vidéoludique vont accorder à leur activité favorite un nombre incalculable d’heures au cours de leur vie, parfois au détriment de leur entourage et de leur vie professionnelle. Malgré cette notion de notoriété planétaire, les producteurs de jeux vidéo vont tout de même tenter à tout prix de monnayer cette perle rare qu’est le temps.
Il y a toujours eu des jeux qui étaient plus longs à terminer à l’époque. Prenons par exemple Final Fantasy (le premier du nom). Une quarantaine d’heures environ étaient nécessaires pour arriver à sa finale. Plusieurs autres jeux tels que Zelda ou Dragon Quest nécessitaient également une quarantaine d’heures de jeux. Notre relation avec ces univers était très différente dans les années 80 – 90. En y repensant bien, les jeux vidéo de ma jeunesse venaient agrémenter la vie sociale. On se réunissait chez le petit voisin pour aller nous mesurer aux autres enfants du quartier à Astéroïds ou même Bubble Bobble. Les jeux nous donnaient une occasion de communiquer de vive voix et de parfaire notre éducation sociale par le divertissement. Ils étaient des bonus dans nos journées et nos soirées, comme le sont toujours les jeux de tables. De nos jours, la technologie est tellement présente et prenante dans nos vies, qu’elle remplace notre sociabilisation par le billais de fréquentations qui deviennent de plus en plus fantomatiques. De nos jours, lorsqu’on pose la question à quelqu’un sur son cercle de connaissances, à savoir qui sont ses amis proches, il n’est pas rare que la réponse ressemble à Bob3214, bellefleur1963 ou Frankthetank21. On ne sait même plus où les gens vivent ou d’où ils viennent. On se connecte et ils apparaissent. On se déconnecte et on se retrouve seul à nouveau. Les contacts humains ont été remplacés en partie ou en intégralité par une sociabilisation virtuelle. La vie sociale des joueurs de jeux vidéo d’aujourd’hui passe essentiellement par cette voie. Ce mode de vie a ses avantages, mais aussi beaucoup d’inconvénients dont nous sommes tous plus ou moins conscients. Une entité a niché ses intérêts précisément dans cette faille de notre relation avec le monde réel. L’industrie du jeu vidéo tente d’accaparer l’essentiel de notre temps libre dans une optique de compétitivité mercantile excluant totalement l’individu de la question. Toujours plus gros; toujours plus prenant; toujours plus beau; toujours plus profitable pour les producteurs de jeux. Le joueur est devenu l’instrument des studios multimilliardaires.
Les jeux auxquels nous jouons aujourd’hui ont un impact majeur sur notre gestion sociale. Pour certains, cela n’aura aucun impact notable, mais pour bon nombre le jeu est un vice qui sème la désorganisation et l’isolement. La principale cause de cette désorganisation sociale n’est pas le jeu en soi, mais plutôt le temps que nous y consacrons. Les entreprises qui produisent ces jeux n’y sont pas étrangers…ils en sont même peut-être la cause principale. La plupart des jeux qui normalement auraient une durée de vie d’une quarantaine d’heures ont étendu leur emprise sur le joueur à des centaines d’heures avec des ajouts plus ou moins utiles dans cette expérience à grands coups de DLC (downloadable content ou extensions de jeux dans la langue de Molière) et de multiples quêtes et activités annexes servant à accrocher le joueur presque indéfiniment. Le but de cette manœuvre est souvent attribué à l’optimisation de l’expérience joueuse selon l’industrie du jeu vidéo. Mais qu’en est-il réellement? Est-ce que le fait de prolonger l’expérience du joueur en lui offrant la possibilité de vagabonder la majorité du temps entre des points et des activités qui n’ont peu ou pas d’impacts sur la trame principale d’un jeu est vraiment profitable pour lui? Je m’attends à recevoir des tomates (ou des briques) par les admirateurs les plus endurcis, car je crois sincèrement que la seule entité à percevoir les profits de cette orientation n’est en fait que le producteur du jeu. Je m’explique! Le plus grand intérêt du producteur de jeu est de garder le joueur devant sa création afin d’éviter qu’il investisse temps et argent chez le compétiteur. Il s’agit d’un concept de base en marketing. Si on considère la quantité et l’accessibilité des jeux d’aujourd’hui, aucun studio n’a réellement d’avantages à faire un jeu qui ne dure que 25 ou 30 heures mis à part quelques exceptions comme l’on prouver les The last of us ou plusieurs jeux basés sur la narration, mais qui sont destinés à un public déjà conquis par ce style. Le meilleur exemple que je puis citer pour exprimer ma pensée à cet effet est la série Assassin’s Creed. Cette série était à la base un jeu dont l’histoire à elle seule captivait l’attention du joueur. La série exposait une histoire complexe et hautement immersive ainsi qu’une recherche du contexte historique digne des plus grands ouvrages de références en la matière. Les jeux de la série n’étaient pas les plus difficiles ni les plus longs, parce que l’intégralité de l’œuvre était basée sur l’expérience immersive. L’histoire avait une importance capitale. Malheureusement, comme toute série qui s’étire dans le temps, l’élan s’essouffle et la flamme finit par vaciller à la moindre petite brise de renouveau provenant de l’extérieur. Le studio sentait son profit glisser aux mains de compétiteurs désirant avec raison prendre au bond la marge de profit faite captive par Ubisoft depuis une dizaine d’années. Comment pouvait faire le studio pour récupérer cette marge de profit? Ils devaient prendre une nouvelle orientation et assujettir le joueur à un contenu qui perdure dans le temps sans nécessairement devoir complexifier la recherche. On change donc complètement la morphologie du jeu, on morcelle l’histoire afin d’éviter que le joueur puisse ranger le jeu après une quarantaine d’heures; on remplit la carte de missions annexes et d’ennemis qui vont donner au joueur une charge de gestion d’inventaire interminable; on agrandi les cartes de façon démesurée afin de monopoliser le temps du joueur en déplacements longs et souvent très monotones. Qu’est-ce que le joueur a réellement à y gagner si ce n’est qu’il restera encore plus longtemps devant le jeu et qu’il n’aura bientôt plus le temps de diversifier son expérience ludique. C’est ainsi que les entreprises visant la quantité au détriment de la qualité engrangent des profits monstres et que les utilisateurs ont de moins en moins de temps à accorder au reste (vie sociale inclusivement).
Une question hante toujours mes réflexions à ce sujet. J’aimerais qu’on m’explique la raison qui ferait que la nouvelle tendance en jeux vidéo soit aussi avantageuse pour le joueur aux dires de l’industrie, si cette même industrie s’acharne à vouloir nous faire revivre les expériences passées au travers de « remakes » et de « remasters » à profusion. Là je sais pertinemment que certains d’entre vous diront immédiatement « pour le profit ». Bien sûr, vous avez raison, mais c’est également parce que les joueurs accordent beaucoup d’importance aux jeux qu’ils avaient adorés à l’époque. Pour rester dans les mêmes eaux de comparaison, les épisodes qui font le plus parler chez les fans de la série Assassin’s Creed sont incontestablement la trilogie d’Ezio et la saga de Desmond Miles même si ça déplait aux fans de la nouvelle mouture. Pourquoi? Les jeux n’étaient pas extrêmement longs, ni très difficiles, mais leur histoire était digne des plus grands romans de fictions ou des plus grandes franchises cinématographiques. Je revisite régulièrement ces jeux plus courts pour revivre l’expérience, mais à l’opposé après avoir joué plus d’une centaine d’heures sur un jeu comme Assassin’s Creed Odyssey, l’envie d’y revenir s’amoindrit et son souvenir tombera à mon avis plus facilement dans l’oubli grâce au concept du « on étire la sauce au maximum ».
Le temps c’est de l’argent, tous connaissent ce dicton. Dans le cas des jeux vidéo, c’est d’autant plus vrai. Cependant, posez-vous la question suivante, est-ce qu’en retirant les quêtes abusives qui n’apportent pas de réels plus au récit d’un jeu limitant ainsi le morcellement du dit récit serait un avantage pour l’immersion du joueur? Est-ce que le fait qu’un jeu soit moins long pourrait permettre au joueur de passer moins de temps devant son écran et ainsi profiter davantage du réel? La seule certitude dans tout ce questionnement, c’est que les producteurs de jeux vidéo perdraient de grosses sommes en agissant de la sorte. Mais qu’en est-il de vous? Combien de temps perdez-vous à patauger dans le remplissage et le bourrage vidéoludique? Combien de temps pourriez-vous consacrer davantage à votre hygiène sociale? Je ne prétends pas être un expert en la matière, il ne s’agit ici que de la réflexion d’un utilisateur qui a vraiment l’impression de s’être fait avoir par l’intérêt mercantile des géants de l’industrie du jeu vidéo. Je ne suggère à personne d’arrêter de jouer, parce que c’est une activité que j’adore aussi, mais plutôt de revoir notre façon de le consommer pour notre profit personnel à tous.
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